Un reportage dell’afp per capire che succede dall’altra parte del mondo
Chakar, 10 ans, “tué et jeté” dans la guerre oubliée au Baloutchistan
QUETTA (Pakistan), 04 mars 2014 (AFP) – A dix ans, Chakar avait encore la vie devant lui lorsque des inconnus l’ont kidnappé. Trois jours plus tard, le gamin a été retrouvé mort dans une rivière, le torse criblé de balles, victime d’une guerre sournoise dans le Baloutchistan pakistanais qui n’épargne désormais plus les enfants. Dans la famille de Chakar Baloch, on ne compte plus les hommes kidnappés, détenus ou tués pour leur engagement en faveur de l’indépendance du Baloutchistan, région stratégique aussi vaste que l’Italie plantée sur le sol rocailleux du sud-ouest du Pakistan, entre l’Iran et l’Afghanistan. En octobre, un cousin et le grand-père de Chakar ont été enlevés, puis relâches. Quelques jours plus tard, c’est un autre cousin, Sanaullah, qui a été enlevé. Il n’a jamais été revu depuis, selon des proches. Se sentant menacée, la famille a quitté son foyer à Panjgur, district perdu dans les entrailles du Baloutchistan, pour trouver refuge à Turbat, un fief rebelle à environ 200 kilomètres au sud. Par un après-midi de janvier, peu avant la prière du coucher du soleil, alors que Chakar jouait dans une ruelle, près des étals des poissonniers, des hommes en civil et en uniforme l’ont kidnappé et pris la fuite à moto. Trois jours plus tard, le gamin aux cheveux en bataille a été repêché dans une rivière à proximité, son torse de gamin filiforme transpercé par au moins deux balles, le visage tuméfié, des cheveux arrachés du crane, selon des photos obtenues par l’AFP. Sur de plus vieilles images, Chakar apparaissait pourtant souriant, des yeux marrons lumineux, une casquette vissée sur la tête et le corps englouti dans une veste trop grande pour lui. “C’était un enfant adorable”, souffle un membre de sa famille retracé par l’AFP et requérant l’anonymat. “Il aimait jouer au football, au cricket, aux jeux vidéos comme tous les autres garçons de son âge”. “Il a été abattu pour les activités politiques de la famille. Les autorités veulent faire pression sur nous, elles veulent nous dire : +regardez ce que nous pouvons vous faire! Si nous n’arrivons pas à capturer les plus vieux, nous attaquerons vos enfants+”, confie ce proche. Les autorités pakistanaises accusent, elles, la rébellion baloutche du meurtre du jeune Chakar, perdu dans le brouillard de la guerre. “Tuer et jeter” =============== Au Pakistan, les affrontements dans le nord-ouest du pays entre les talibans et l’armée soulèvent au quotidien les passions, contrairement à la guerre de l’ombre que se livrent depuis dix ans les rebelles sécessionnistes du Baloutchistan et les forces de sécurité. La “question baloutche”, vaste province gorgée de champs gaziers et de gisements d’or, est un sujet hyper-sensible que plusieurs cherchent à étouffer dans un pays encore traumatisé par l’indépendance, en 1971, de sa portion orientale, devenue le Bangladesh. Au cours des dernières années, de nombreuses personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les rebelles ou des partis baloutches ont mystérieusement disparu, enlevées probablement par les services de renseignement sans jamais revoir la lumière du jour. “Nous avons une liste de 2.850 personnes qui ont ainsi disparu”, explique à l’AFP Nasrullah Baloch, président de l’Association des “personnes manquantes” du Baloutchistan. Ce nombre reste contesté par les autorités qui évoquent tout au plus quelques cas. “La majorité des personnes manquantes sont des activistes politiques et des membres de leur familles. Quand les services n’arrivent pas à retracer un activiste, ils s’en prennent à ses proches”, dit cet homme fuselé dont l’oncle est porté disparu depuis plus de dix ans. Parfois, des “disparus” réapparaissent vivants après des mois ou des années de captivité. Ou morts, leur dépouille abandonnée en bordure de route, une stratégie baptisée “Tuer et jeter” et dénoncée par la “Longue marche” de plus de 2.000 kilomètres du vieux Baloutche Mama Qadeer qui a culminé ce weekend à Islamabad. Depuis 2010, “plus de 460 corps ont ainsi été retrouvés”, souligne Tahir Hussain Khan, chef de la Commission pakistanaise des droits de l’Homme dans cette province. Et “la plus jeune de ces victimes, c’est Chakar”, lance Nasrullah. Fin janvier, une fosse commune de 13 cadavres a été découverte dans le hameau baloutche de Totak. Pour une rare fois, les autorités ont annoncé une enquête “indépendante”, avec des tests d’ADN à la clé pour identifier les victimes, sur cette découverte macabre qui pourrait n’être que la partie visible du musée des horreurs enseveli dans ce coin perdu du monde. La paix avec la rébellion? ========================== Cette enquête sert aussi à montrer la “bonne foi” des autorités civiles afin de jeter les bases d’un processus de paix avec les rebelles baloutches, qui attaquent des trains, des installations gazières, l’armée et des Pendjabis, ethnie de la province voisine accusée de les “coloniser”. Le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a adopté au cours des derniers mois une politique d’apaisement avec les insurgés du pays, talibans comme baloutches, et nommé un ex-rebelle à la tête du Baloutchistan dans l’espoir de bâtir des ponts avec la rébellion. “Je tente de convaincre les rebelles de s’asseoir à table et de parler. Ce n’est pas la première insurrection baloutche. Il y en a eu quatre ou cinq par le passé et elles se sont toutes terminées par des négociations”, confie à l’AFP Abdul Malik Baloch, ministre en chef du Baloutchistan. Selon une source gouvernementale, “des contacts préliminaires ont déjà été établis” avec la rébellion lézardée en demi-douzaine de groupes rivalisant entre eux d’acronymes : BLA, BRA, BLF… “Les chefs de ces mouvements sont basés à Londres et en Suisse”, affirme le ministre baloutche de l’Intérieur, Sarfaraz Bugti qui accuse l’Inde rivale de soutenir la rébellion et l’Afghanistan d’héberger des camps d’insurgés. Dix ans après le début de la dernière insurrection, la “question baloutche” reste irrésolue. gl/abl AFP 040648 GMT MAR 14